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"en verite il est tres agreable de se reunir, de s'asseoir et de bavarder des interets publics. Parfois meme je suis pret a chanter de joie, quand je rentre dans la societe et vois des hommes solides, serieux, tres bien eleves, qui se sont reunis, parlent de quelque chose sans rien perdre de leur dignite. De quoi parlent-ils ? ca c'est une autre question. J'oublie meme, parfois, de penetrer le sens de la conversation, me contentant du tableau seul. Mais jusqu'ici, je n'ai jamais pu penetrer le sens de ce dont s'entretiennent chez nous les gens du monde qui n'appartiennent pas a un certain groupe. Dieu sait ce que c'est. Sans doute quelque chose de charmant, puisque ce sont des gens charmants. Mais tout cela parait incomprehensible. On dirait toujours que la conversation vient de commencer ; comme si l'on accordait les instruments. On reste assis pendant deux heures et, tout ce temps, on ne fait que commencer la conversation. Parfois tous ont l'air de parler de choses serieuses, de choses qui provoquent la reflexion. Mais ensuite, quand vous vous demandez de quoi ils ont parle, vous etes incapable de le dire : de gants, d'agriculture, ou de la constance de l'amour feminin ? De sorte que, parfois, je l'avoue, l'ennui me gagne. On a l'impression de rentrer par une nuit sombre a la maison en regardant tristement de cote et d'entendre soudain de la musique. C'est un bal, un vrai bal. Dans les fenetres brillamment eclairees passent des ombres ; on entend des murmures de voix, des glissements de pas ; sur le perron se tiennent des agents. Vous passez devant, distrait, emu ; le desir de quelque chose s'est eveille en vous. Il vous semble avoir entendu le battement de la vie, et, cependant, vous n'emportez avec vous que son pale motif, l'idee, l'ombre, presque rien. Et l'on passe comme si l'on n'avait pas confiance. On entend autre chose. On entend, a travers les motifs incolores de notre vie courante, un autre motif, penetrant et triste, comme dans le bal des Capulet de Berlioz. L'angoisse et le doute rongent votre coeur, comme cette angoisse qui est au fond du motif lent de la triste chanson russe : Ecoutez... d'autres sons resonnent. Tristesse et orgie desesperees... Est-ce un brigand qui a entonne, la-bas, la chanson ? Ou une jeune fille qui pleure a l'heure triste des adieux ?